· 

Augmentation de l’humidité au Groenland : à qui la faute ?

Rivière de fonte à la surface de la calotte groenlandaise (Photo : Marco Tedesco ).

Bonjour à tous.tes !
Cela fait bientôt un mois que la question du climat a disparu de la scène médiatique. Remplacée par des débats nauséabonds en tout genre. Je n’ai donc aucun levier facile pour commencer cet article. Hormis, peut-être, le fait que justement, il ne se passe rien !

Pourtant…

L’Amplification Arctique

L’Arctique se réchauffe de plus en plus. Plus vite que le reste du monde. Et de plus en plus vite chaque année. En 2021, Le Monde expliquait que ce réchauffement était trois fois plus rapide qu’ailleurs. En 2022, France Info indiquait que cette valeur était non pas trois, mais quatre. En fonction des endroits, ce chiffre peut même grimper jusqu’à sept. Oui. Le Svalbard, par exemple, se réchauffe sept fois plus vite que le reste du monde, comme le disait en août 2023 Heidi Sevestre dans sa chronique sur France Culture.

Ce phénomène s’explique par plusieurs causes, parmi lesquelles on peut citer la diminution de la surface de banquise (laquelle joue d’ordinaire le rôle d’un climatiseur géant) ou l’augmentation de la température des eaux de l’Atlantique Nord. Et il faut bien comprendre que beaucoup de choses découlent de ce réchauffement. En particulier, la fonte de la calotte polaire du Groenland entraine un assombrissement de sa surface (voir photo ci-dessous), laquelle emmagasine davantage de chaleur en provenance du soleil (c’est ce qu’on appelle l’effet albedo – l’albedo étant, scientifiquement parlant, la fraction de rayonnement solaire incident qui est renvoyé dans l’espace. L’albedo vaut 1 pour une surface blanche, 0 pour une surface noire). Or, la calotte polaire, en fondant, se déversant dans les mers alentours et contribue à ralentir la plongée en profondeur des eaux chaudes de l’Atlantique Nord. Ce réchauffement rapide de l’Arctique se résume souvent par le terme d’Amplification Arctique.

Une calotte polaire bien sombre à l’albedo faible. Photo prise en aout 2019 dans le Groenland de l’Ouest (Caspar Haarløv)

Bien sûr, c’est tout le climat local qui est modifié par ce réchauffement et, en particulier, la circulation atmosphérique. Le réchauffement entraine une augmentation des précipitations pluvieuses au-dessus de la calotte, lesquelles augmentent encore la fonte et réduisent l’albedo de la glace. Le cercle vicieux s’installe, vous imaginez la suite.

Une carte de l’albedo du Groenland daté d’il y a quelques jours est indiquée ci-dessous. Attention, il s’agit d’une comparaison avec les valeurs des années précédentes, pas d’une valeur absolue (je rappelle que l’albedo se situe entre 0 et 1) !

 

Les régions en rouge ont un albedo actuel plus faible que la moyenne 2017-2023, signifiant une fonte plus importante que d’ordinaire. En bleu, c’est l’inverse. (source : PolarPortal.dk)

Sale temps pour les hydrophobes !

Voilà justement ce qui nous intéresse dans cette pastille : l’augmentation des précipitations pluvieuses. Car une équipe de recherche (composée de chercheurs travaillant aux États-Unis, au Chili, en Chine et en Belgique) vient justement de publier dans le magazine Nature (Wang et al., 2024) un article questionnant l’origine et la fréquence de ce qu’on appelle les Rivières Atmosphériques (RA).

Les RA sont des sortes de grands rubans de perturbations très humides qui se forment lorsqu’un front froid et humide rencontre un front chaud. Ces RA parviennent parfois à se frayer un chemin jusqu’à la calotte et peuvent y déverser une grande quantité de précipitations. En fonction des températures, celles-ci peuvent tomber sous forme de pluie ou de neige, avec des conséquences – comme vous l’imaginez – bien différentes ! En général, il y a une RA par mois au Groenland, laquelle dure de 1 à 3 jours. Ces RA apportent 90% de l’humidité au Groenland. Une équipe de recherche a récemment montré qu’en 2012, un épisode de fonte majeur de la calotte avait été exacerbé par la présence de RA, et cet épisode de fonte avait entrainé une augmentation du niveau de la mer de 1,2mm à lui tout seul (van des Broeke et al., 2016). C’est gigantesque.

De mon côté, j’avais déjà mentionné dans ma précédente pastille comment une RA avait contribué au fait que l’Antarctique ait, en 2023, pour la première fois depuis 30 ans, gagné de la masse au lieu d’en perdre.


Alors, quel est le problème ?

En fait, tout part du constat que le taux d’humidité atmosphérique et la fréquence des RA ont augmenté au Groenland depuis des années, en particulier pendant les mois d’été (juin – juillet –août). Pour autant, si on sait que l’augmentation de l’humidité est la conséquence du changement climatique (évaporation des océans voisins, transport d’humidité depuis les basses latitudes), on sait aussi qu’il y a une variabilité naturelle dans ce signal. Une tendance à long terme pourrait donc expliquer aussi, peut-être, cette augmentation en fréquence des RA.


Deux questions se sont alors posées aux scientifiques :

  • Dans quelle mesure le réchauffement climatique anthropique et la variabilité naturelle, pris à la fois séparément et de concert, ont augmenté l’humidité de l’Arctique par le biais des rivières atmosphériques ?
  • Dans quelle mesure les rivières atmosphériques contrôlent l’apport d’humidité dans la région arctique ?


Pour se faire, les chercheurs ont d’abord modélisé la manière dont les rivières atmosphériques se créent et évoluent, lorsqu’on applique dans le modèle uniquement un forçage naturel, la circulation atmosphérique seule. Puis, ils ont comparé ces résultats avec des observations de la région. Enfin, ils ont à nouveau modélisé la réaction des RA en réponse, cette fois, aux activités humaines.

Ci-dessus, une illustration du lien entre les rivières atmosphériques (à gauche) et l’humidité de l’atmosphère, à droite). Attention à l’échelle, on observe ici les tendances d’évolution de la fréquence des AR et du taux l’humidité, au fil des décennies, de 1979 à 2019. On voit que les zones les plus touchées sont celles du Nord-ouest groenlandais, de la mer de Barents et de l’Europe du nord. (extrait de Wang et al., 2024)

Leurs conclusions montrent que :

  • Les tendances atmosphériques naturelles de grande échelle contribuent à modifier les fréquences des AR, en particulier sur le Groenland et le nord de l’Europe.
  • Tout en reconnaissant l’impact des activités humaines sur les RA, une proportion significative de l’augmentation à long terme de la fréquence des RA peut être attribuée aux variations naturelles de la circulation atmosphérique à grande échelle.
  • Cette évolution à long terme a contribué à augmenter l’humidité dans la zone Pan-Arctique d’environ 36%, et jusqu’à 50% dans certaines zones.


Il reste encore cependant beaucoup d’incertitudes et d’autres études à mener pour mieux comprendre les phénomènes qui ont actuellement lieu en Arctique, d’autant que les mesures dans ces régions sont difficiles à mener. Mais puisqu’on sait que (i) la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère est un facteur aggravant du Changement climatique (CC), que (ii) la circulation océanique en Atlantique Nord est justement en train de s’affaiblir à cause de ce CC et que (iii) le Groenland détient assez de glace pour augmenter le niveau des mers de 7m, on comprend qu’il est capital de limiter le mécanisme d’auto-entrainement lié à la fonte de la calotte, lequel impacte forcément le comportement des glaciers périphériques.

D’autant que ce point de bascule, rappelons-le, est considéré comme déjà franchi par plusieurs scientifiques (en particulier, dans une étude récente de King et al., 2020). Selon ces mêmes chercheurs, la perte dynamique de glace liée au retrait des glaciers périphérique dépasse le gain lié aux précipitations, et il ne serait pas possible d’inverser le comportement de ces glaciers, même en limitant la fonte surfacique.

La lutte quotidienne contre le changement climatique doit être une priorité, pour nous tous.tes. Elle doit particulièrement être celle de nos élus. Je le rappelle, car on a appris il y a quelques jours qu’Emmanuel Macron voulait temporiser la nomination d’un nouveau premier ministre, laissant l’actuel Gabriel Attal gérer les affaires courantes. Cette décision est d’autant plus ubuesque qu’on attend toujours la validation des grands plans censés guider la stratégie climatique française. Et qu’aucune décision ne sera prise dans le cadre d’une simple « gestion des affaires courantes » (si seulement !).

Alors, les mois passent, les glaciers disparaissent, les populations touchées par le changement climatique se multiplient autant que les rivières atmosphériques. Temporiser n’est pas sage ni prudent. C’est criminel.


Sources :

 

Wang, Z., Ding, Q., Wu, R. et al. Role of atmospheric rivers in shaping long term Arctic moisture variability. Nat Commun 15, 5505 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-49857-y

van den Broeke, M. R., Enderlin, E. M., Howat, I. M., Kuipers Munneke, P., Noël, B. P. Y., van de Berg, W. J., van Meijgaard, E., and Wouters, B.: On the recent contribution of the Greenland ice sheet to sea level change, The Cryosphere, 10, 1933–1946, https://doi.org/10.5194/tc-10-1933-2016, 2016.

Écrire commentaire

Commentaires: 0