Un iceberg tabulaire au large de la péninsule en 2018.
Bonjour à tous.tes !
J’imagine que vous êtes nombreux à avoir vu passer cette annonce, quant à ce gigantesque iceberg détaché de l’Antarctique, et qui vogue à présent vers le nord.
Encore une fois, les journaux en ont beaucoup parlé, non sans soulever cette épineuse question : quels risques pour la faune, la flore, les écosystèmes, et quels impacts pour nous ?
Avec, parfois, quelques imprécisions.
Alors, revenons un instant sur cet individu, l’iceberg A23a.
Quel nom farfelu !
Pour commencer, certes. A23a. Les icebergs les plus gros (>10 milles nautiques) portent effectivement une dénomination étrange. La première lettre correspond à son secteur d’origine, avec une
lettre par quadrant (A = 0-90W (Bellingshausen/Weddell Sea), B = 90W-180 (Amundsen/Eastern Ross Sea), C = 180-90E (Western Ross Sea/Wilkes land), D = 90E-0 (Amery/Eastern Weddell Sea). Voir la
carte ci-dessous.
Sur cette carte de l'Antarctique, le front polaire est indiqué en ligne mauve pointillée.
Le numéro est est donc un incrément unique pour chaque iceberg dépassant les 10 milles marins. Par ailleurs, à chaque fois que l’iceberg se casse, on lui donne
une lettre supplémentaire. A23a est donc le 23e iceberg issu du secteur A et mesurant plus de 10 milles marins. Cet iceberg a perdu au moins un morceau, d’où la lettre “a” qu’il porte à la
fin.
On a dit que cet iceberg était le plus grand du monde. Certes, il est gigantesque. 4000Km², soit 38 fois la taille de Paris. Mais il n’est pas le plus grand iceberg
observé jusqu’à présent. Le A68a, en juillet 2017, mesurait 5800km². Le A76, 4320km². Le record étant détenu par l’iceberg B15, qui a vêlé en 2000, et qui mesurait 295km de long sur 37km
de large, soit 11000km².
Pour vous donner une idée, vous pouvez voir ci-dessous une photo du A23a, obtenue à partir de la constellation de satellites européens Copernicus. Vous pouvez voir
également sur cette photo la pointe de la Péninsule Antarctique, au large de laquelle ce glaçon va dériver dans les prochains mois.
Dérive de l'iceberg tabulaire A23a au large de la péninsule antarctique.
Dérive, dérive. Certes. Mais jusqu’où ?
C’est là que la situation se complique. Comme tous les icebergs du secteur, une fois dégagé du grand tourbillon océanique de la mer de Weddell (la gyre de Weddell),
il devrait être emporté par le courant circumpolaire antarctique, lequel tourne d’ouest en est autour du continent. Sa dérive pourrait l’emporter probablement en direction de l’île de Géorgie du
Sud. À quelle vitesse, c’est à voir. On sait par exemple que les petits icebergs (<2km) sont particulièrement contraints par les vents et les courants océaniques, tandis que les plus grands
(>10km) sont moins impactés par les vents. Ce qui est sûr, c’est que tant qu’il demeure dans les limites de l’océan austral, au sud de la ligne mauve pointillée qui symbolise le front polaire
(voir carte en haut), sa fonte devrait être assez limitée.
Des études scientifiques ont ainsi montré que certains icebergs peuvent parcourir de longues distances autour du continent. Notamment, Rackow et al., 2017, dans le
Journal of Geophysical Research - Oceans, ont compilé plusieurs
trajectoires d’icebergs entre 1999 et 2009, ce qui leur a permis de produire la carte ci-dessous.
Dérive des icebergs autour de l'Antarctique (Rackow et al., 2017).
La ligne que vous observez en rouge correspond même à un iceberg qui s’est détaché de la plateforme flottante de Ronne-Filchner, dans
la mer de Weddell (comme le A23a, au passage), et qui a fait un tour complet de l’Antarctique avant de disparaître des radars. Les auteurs de l’étude précisent que certains
icebergs peuvent résister pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies (la preuve en est avec le A23a, dont on ne parle que maintenant, mais qui s’est détaché en… 1986)
Bon, et alors, l’impact dans tout ça ?
Pour faire simple… Il n’y a pas grand-chose à attendre de ce vêlage gigantesque. L’iceberg étant suivi, les risques pour la navigation sont vraiment minimes. C’est
même généralement une attraction touristique pour les navires qui croisent dans les parages.
Quant à l’impact sur la faune et les écosystèmes… On a pensé un temps que les icebergs tabulaires comme le A23a pourraient menacer les populations de manchot sur la
côte de Géorgie du Sud, s’il venait à s’échouer à proximité. Mais en réalité, les colonies sont situées en très grande majorité sur la côte nord-est, et ne risquent absolument
rien.
Concernant son évolution, des études ont montré que lorsque l’iceberg dérive, la fonte de la glace modifie localement les conditions de température et de salinité,
et ce phénomène a même un rôle stabilisant et fertilisant sur la colonne d’eau, améliorant la production de phytoplancton. Cet impact sur les conditions de température et
salinité de l’océan a été étudié en particulier par une équipe sur l’évènement de vêlage du A68a, en 2017. Un évènement très similaire au A23a, puisque l’iceberg s’est détaché d’une plateforme
située dans la mer de Weddell, avant de suivre la même trajectoire vers l’île de Géorgie du Sud (celle-ci est illustrée sur la figure ci-dessous, en compagnie de plein d’autres trajectoires
d’icebergs observés entre 1978 et 2019).
Dérive de l'iceberg tabulaire A68a - ESA
Leur article, publié dans Geophysical Research Letters (Smith & Bigg, 2023), montre que les anomalies de température et de salinité peuvent s’étendre
sur plus de 1000km et persister pendant plus de 2 mois après le passage de l’iceberg. Enfin, par le même phénomène, certaines études montrent que ces icebergs peuvent avoir un impact local sur la
production de banquise et sur les courants marins.
Cependant, comme l’explique Gaël Durand sur France Inter, ce qui est plus intéressant que
ce phénomène de vêlage totalement naturel, c’est le devenir du continent en lui-même, en particulier, le comportement des glaciers et plateformes flottantes d’où se détachent ces icebergs. Oui,
vous le sentez venir. On en a déjà beaucoup parlé, ici et là : je pense à la déstabilisation de l’Antarctique de l’Ouest.
Les poulpes polaires comme marqueurs de l’effondrement.
À ce titre, une récente étude publiée dans Science (Lau et al., 2023) vient tirer un peu plus la sonnette d’alarme, en ce qui concerne le risque de déstabilisation / effondrement de
l’Antarctique de l’Ouest. L’originalité est qu’elle réside dans l’étude des génomes des poulpes vivant dans cette région. Oui. Vous avez bien entendu : Pareledone turqueti, même,
pour être précis.
Pour ce faire, les chercheurs ont comparé deux populations vivant dans des endroits différents de la région Antarctique de l’Ouest. Deux régions normalement séparées par la calotte polaire. Ce
qu’ils ont découvert, c’est que lors du dernier maximum glaciaire (il y a ~129000 à 116000 ans), ces deux populations se sont mélangées, et que ce mélange n’a pu être possible que si des
bras de mer (dépourvus de glace, donc) reliaient ces deux régions. Ce qui est cohérent avec d’autres études montrant que le niveau des mers était alors 5m à 10m au-dessus du niveau
actuel.
Là où la découverte est cinglante, c’est qu’à cette époque, la température atmosphérique était entre 0,5°C et 1,5°C au-dessus des valeurs préindustrielles. Notre objectif de limiter les
hausses à 2°C, voire 1,5°C, paraît donc largement insuffisant pour empêcher la déstabilisation de l’Antarctique de l’Ouest.
Quelques mètres d’élévation du niveau de la mer. Rien de nouveau pour les poulpes, me direz-vous. Certes.
Mais les poulpes, au moins, savaient nager.
Sources :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/camille-passe-au-vert/camille-passe-au-vert-du-mercredi-06-decembre-2023-2694971
Rackow, T., C. Wesche, R. Timmermann, H. H. Hellmer, S. Juricke, and T. Jung (2017), A simulation of small to giant Antarctic iceberg evolution: Differential impact on climatology estimates, J.
Geophys. Res. Oceans, 122, doi:10.1002/2016JC012513.
Smith, R. M., & Bigg, G. R. (2023). Impact of giant iceberg A68A on the physical conditions of the surface South Atlantic, derived using remote sensing. Geophysical Research Letters, 50,
e2023GL104028. https://doi. org/10.1029/2023GL104028
Lau, S. C., Wilson, N. G., Golledge, N. R., Naish, T. R., Watts, P. C., Silva, C. N., ... & Strugnell, J. M. (2023). Genomic evidence for West Antarctic Ice Sheet collapse during the Last
Interglacial Period. bioRxiv, 2023-01.
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