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Sale temps pour les manchots !

Antarctique - Neko Harbor

Bonjour à tout.es !

 

En cette fin d'été, je vous propose un petit retour sur les quelques articles scientifiques notables publiés ces dernières semaines. Pas question d'Arctique, cette fois-là, tout se passe en Antarctique !

1. Retour sur la banquise antarctique

Commençons par un petit retour sur mon précédent post, dans lequel j’évoquais la faible – très faible – extension de la banquise antarctique pour la saison. L’été démarrait mal, avec 2,6 millions de kilomètres carrés en moins par rapport à la moyenne. La tendance s’est bien confirmée, alors qu’on arrive en cette fin septembre au pic maximum hivernal de banquise antarctique. C’est la courbe bleue dans l’image ci-dessous. La courbe grise, c’est la moyenne 1981-2010. Et la courbe rouge pointillée ? C’est l’année 2022, le précédent record.

 

Évolution de la surface de banquise antarctique de 1980 à 2010 (trait noir), en 2022 (trait rouge) et en 2023 (trait bleu) (NSIDC).

 

Si je vous la montre, ce n’est pas sans raison. Car un article scientifique publié fin août dans le magazine Nature est justement venu en remettre une couche (Fretwell et al., 2023). Il concerne les populations de manchot empereur (qui, je le rappelle, dépendent de la banquise pour leur survie). Dans cet article, les scientifiques ont étudié les phases de reproduction sur cinq sites situés sur la côte ouest de la péninsule, au niveau de la mer de Bellinghausen. Ils ont remarqué que pour quatre sites de nidification sur cinq, la concentration de banquise a montré un tel déficit (jusqu’à 100 % en moins par rapport la période 1991-2020) qu’elle a entraîné une rupture franche du cycle de reproduction, avant que les poussins ne soient capables de se débrouiller par eux-mêmes (sur la période critique de décembre-janvier 2023, ce qui correspond à la fin de la courbe rouge – début de la courbe bleue). Selon les auteurs, c’est la première fois qu’un tel incident est observé sur les populations de manchot empereur en lien avec un déficit de banquise à grande échelle.

Or, depuis, la banquise n’a pas retrouvé son extension précédente. Pire, celle-ci s’est encore réduite (courbe bleue) et même si ce déficit ne concerne actuellement pas la mer de Bellinghausen, cela n’augure rien de bon pour la suite.

C’est aussi un rappel assez clair que la banquise antarctique n’est pas qu’un élément-clé du climat (albedo, refroidissement océanique …), elle est également une composante vitale pour de nombreux écosystèmes dans la région.

2. L’Antarctique toujours sur la brèche

Restons en Antarctique, maintenant, mais abordons un autre sujet. Si vous avez tout lu de mes billets, vous avez peut-être souvenir d’un article en particulier évoquant l’instabilité dynamique des calottes polaires. Si vous ne l’avez pas, vous pouvez soit rattraper votre retard ici, soit reprendre le résumé, ci-dessous.

Tout d’abord, prenez connaissance du schéma ci-dessous. Vous pouvez y voir la représentation en coupe assez caractéristique d’une calotte polaire comme l’Antarctique. Posée sur son socle rocheux, la glace s’écoule, se met à flotter au niveau de ce qu’on appelle la ligne d’échouage, avant de former de longues plateformes flottantes. Comme illustré ci-dessous :

Notre histoire remonte à une quinzaine d’années. En 2007, un chercheur canadien a montré que le flux de glace qui s’écoule à travers la ligne d’échouage dépend de son épaisseur. Plus l’épaisseur est grande, plus le flux est grand. Dans le cas représenté ici où le socle rocheux s’enfonce lorsqu’on se déplace vers l’amont (vers la gauche), cette épaisseur augmente.

Par conséquent, supposons que la température de l’océan augmente et que ce dernier commence à fondre la glace au niveau de la ligne d’échouage. Dans ce cas, cette dernière va se déplacer un peu sur la gauche. Ce qui signifie que l’épaisseur de la glace augmente. Donc, le flux augmente. Donc, la ligne d’échouage se déplace à gauche. Donc, l’épaisseur de la glace augmente, etc. Le phénomène s’autoalimente jusqu’à ce que la pente du socle rocheux se stabilise ou s’inverse.

En comprenant tout ça, les scientifiques ont essayé de mieux visualiser la forme du socle rocheux en Antarctique. Passé quelques années d’observation (beaucoup par la NASA) et un bon gros paquet d’articles scientifiques, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que de nombreux glaciers antarctiques sont dans cette situation. De quoi s’attendre, en théorie, à de gros retraits.

Problème : les études de modélisation qui ont suivi ont montré que ce comportement ne se met pas toujours en place. Des glaciers se trouvant dans des baies très confinées peuvent parfois « retenir » la glace et empêcher ce mécanisme de se produire. Les scientifiques ont donc cherché à identifier ces glaciers. Les préoccupations se sont alors principalement tournées autour des glaciers du secteur d’Amundsen avant de s’étendre à d’autres. C’est à ce moment que les journalistes ont commencé à parler de glaciers de l’apocalypse, et tout le tralala. Mais le fait est que les scientifiques ne savaient pas si ce retrait généralisé était déjà engagé ou si l’on pouvait encore sauver les meubles.

C’est ce qui a poussé le GIEC à présenter le graphique ci-dessous dans son dernier rapport. La ligne rouge pointillée correspond à l’augmentation potentielle du niveau des océans, si ce mécanisme se mettait en marche.

Rapport du GIEC, AR6, WG1, SPM.

Alors, si je reviens à la charge aujourd’hui, c’est que deux études conjointes sont venues éclaircir ce mystère. La première (Hill et al., 2023) réunit des chercheurs d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de Norvège, et tente de répondre à la question suivante : les lignes d’échouage des glaciers antarctiques sont-elles actuellement déjà entrées dans ce processus de retrait ? Autrement dit, ce seuil au-delà duquel le retrait est irréversible est-il déjà atteint ?

Pour y répondre, ils ont reproduit numériquement les géométries actuelles des glaciers antarctiques, et sont venus « pousser » un peu leur ligne d’échouage par le dessous, pour initier le retrait, comme le ferait un réchauffement océanique. Leur conclusion est claire : même en maintenant ce forçage pendant 20 ans, dès qu’on l’arrête, la calotte revient à sa position initiale. Les trois modèles indépendants utilisés arrivent à la même conclusion : pour l’instant, le seuil critique n’est pas encore franchi.

Mais, plus intéressant encore, une seconde étude est venue préciser cette question (Reese et al., 2023). Dans celle-ci, les chercheurs ont soumis ces mêmes glaciers à des perturbations climatiques telles qu’actuellement subies par la région. Mais au lieu de les pousser pendant 20 ans, ils ont maintenu ces forçages pendant 10 000 ans. Le constat, c’est que plusieurs glaciers du secteur d’Amundsen (dont Thwaites et Pine Island) ont franchi ce fameux seuil d’irréversibilité au bout de 300 à 500 ans, en fonction des simulations. Le résultat est illustré sur l’image ci-dessous.

Partie de la calotte polaire antarctique qui pourrait être affectée par une déstabilisation liée au changement climatique (Reese et al., 2023).

 

Selon les modèles et les simulations, un tel retrait s’accompagnerait d’une augmentation du niveau de la mer de deux à trois mètres.

Il est donc clair que le maintien des températures actuelles va entraîner un retrait à grande échelle de certaines régions de l’Antarctique. La question est juste de préciser quand : en effet, quand on parle de 300 à 500 ans, c’est en soumettant la calotte aux conditions climatiques actuelles. Mais si la température augmente (comme c’est attendu dans les prochaines décennies), ce processus pourrait lui aussi s’accélérer, et il est bien difficile de dire comment.

La responsabilité de notre société vis-à-vis des générations futures est donc capitale. Aujourd’hui, le changement climatique est accepté par le plus grand nombre. En revanche, la nouvelle plaie est celle des discours rassuristes qu’on voit pousser sur les réseaux sociaux, ceux qui soutiennent qu’à grand renfort de géo-ingénierie et d’ensemencement des nuages, et de par notre capacité naturelle à nous adapter, il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter. Ces comportements sont absurdes et dangereux. Ils minimisent les impacts du changement climatique ainsi que notre prise de conscience, et nous plongent dans un immobilisme tragique.

 

La réalité est déjà là : en 2018, 108 millions de personnes victimes de tempêtes, inondations, sécheresses ou incendies ont été forcés de recourir à l’aide humanitaire internationale. Selon les estimations de l’ONU, elles seront 150 millions par an d’ici 2030.

Macron a dévoilé il y a quelques jours son projet de Planification Écologique. Aucune mention au train (hormis une dotation RER largement sous-évaluée) ou à la réduction de la voiture individuelle, alors que selon le rapport du Haut Conseil pour le Climat, le secteur des Transports compte pour 32 % de nos émissions, et qu’il a vu ses émissions augmenter de 2,3 % en 2022.

Des mesures rapides, concrètes et impactantes existent. Mettons-lui la pression pour qu’il les applique !


Sources :

 

IPCC, AR6, WG1, SPM.

Fretwell, P.T., Boutet, A. & Ratcliffe, N. Record low 2022 Antarctic sea ice led to catastrophic breeding failure of emperor penguins. Commun Earth Environ 4, 273 (2023). https://doi.org/10.1038/s43247-023-00927-x

Hill, E. A., Urruty, B., Reese, R., Garbe, J., Gagliardini, O., Durand, G., Gillet-Chaulet, F., Gudmundsson, G. H., Winkelmann, R., Chekki, M., Chandler, D., and Langebroek, P. M.: The stability of present-day Antarctic grounding lines – Part 1: No indication of marine ice sheet instability in the current geometry, The Cryosphere, 17, 3739–3759, https://doi.org/10.5194/tc-17-3739-2023, 2023.

Reese, R., Garbe, J., Hill, E. A., Urruty, B., Naughten, K. A., Gagliardini, O., Durand, G., Gillet-Chaulet, F., Gudmundsson, G. H., Chandler, D., Langebroek, P. M., and Winkelmann, R.: The stability of present-day Antarctic grounding lines – Part 2: Onset of irreversible retreat of Amundsen Sea glaciers under current climate on centennial timescales cannot be excluded, The Cryosphere, 17, 3761–3783, https://doi.org/10.5194/tc-17-3761-2023, 2023. 

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