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Réduire nos émissions : Fit for 55 !

Un beau tabulaire dans le détroit de Bransfield, Antarctique

Bonjour à tous·tes !

Vous avez peut-être vu passer ce tweet de Clément Beaune (Ministre des Transports), la semaine dernière. Il vante les réformes européennes pour une Europe sans carbone, avec plusieurs mesures phares concernant le secteur des transports.

Fin des voitures thermiques, décarbonation du transport maritime d’ici 2050, 70% de carburants durables dans les avions d’ici 2050. À lire ces déclarations, on pourrait vouloir se réjouir. Mais si on rentrait un peu plus dans les détails ?

D’où elles sortent, ces annonces ?

Commençons par le début. En 2021, dans le cadre de la loi européenne sur le climat, la Commission européenne propose un paquet de mesures appelé Fit for 55, soit, en français, Ajustement pour l’objectif 55. L’objectif est de réduire les émissions nettes de l’UE d’au moins 55% d’ici 2030 (par rapport à 1990), tout en en faisant une obligation légale.
En 2022, la France adopte ces mesures, ouvrant la voie à des négociations avec le parlement européen. Le tweet ci-dessous, c’est le résultat de ces négociations en cours avec l’Europe.

L’idée de Fit for 55, c’est, comme indiqué sur le site de l’Europe, de faire en sorte que les modifications qui découlent de ces décisions soient justes et socialement équitables, tout en assurant que les industries européennes restent compétitives vis-à-vis des pays tiers (sic), afin de faire de l’UE la cheffe de file de la lutte contre le changement climatique.

Ces réglementations concernent, à terme, tous les grands secteurs émetteurs : l’agriculture, les bâtiments, le transport, l’énergie, l’industrie et les forêts-bois-utilisation des terres.

Concrètement, en plus des objectifs indiqués par le ministre, on trouve des pistes déjà suggérées dans les travaux du GIEC, comme l’augmentation de la part d’énergie renouvelable (dans l’UE) de 32% à 40% d’ici 2030 (on est aujourd’hui à 22%), ces fameux « carburants durables » pour les avions (qui font sacrément polémiques, parce qu’il serait bien plus logique et efficace d’arrêter l’avion plutôt que d’améliorer le carburant, comme le souligne cet excellent article), mais aussi la diminution de la consommation énergétique, tout simplement. Je l’avais déjà évoqué ici, et c’est marqué en dur dans cette infographie : « les économies d’énergie constituent la solution présentant le meilleur rapport-coût efficacité. »

Être Fit for 40, avant d’être Fit for 55

À l’échelle de la France, Fit for 55 correspond à viser une diminution de 50% de nos émissions nettes d’ici 2030, et la neutralité carbone en 2050. Dans l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C, et si possible, sous les 1,5°C. C’est donc sacrément ambitieux, et je serai le premier content si on arrive à ce résultat !

Le souci, c’est qu’en France, on n’y est pas. Mais alors, pas du tout. C’est d’ailleurs ce qu’a pointé le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son rapport de 2022.

Pour vous montrer tout ça, je vous ai reproduit ci-dessous une figure issue de ce même rapport.

Le trait noir, c'est nos émissions historiques depuis 1990. C’est cette date, depuis laquelle nos émissions ont commencé à diminuer, qu’on utilise comme point de référence.

En rouge, c’est la tendance sur la dernière décennie. En moyenne, on réduit actuellement nos émissions de 8MtCO2-eq/an. On parle de Mégatonnes équivalent CO2 afin d’avoir une seule et même unité de mesure pour tous les gaz à effet de serre (GES).

Le problème, c’est qu’avant la mise en place du paquet européen Fit for 55, la France s’était déjà dotée de contraintes sur ses émissions de GES. C’est ce qu’on appelle la SNBC, pour Stratégie Nationale Bas Carbone. Cette loi, de 2015, fixe des objectifs nationaux d'émissions de GES pour des périodes données : les fameux budgets carbone.

 

Problème : sur la période 2015-2018, la France a explosé les budgets dans presque tous les secteurs. Si bien que pour la période 2018-2030, l’état a relevé les plafonds, pour que les objectifs soient plus faciles à atteindre. C’est la fameuse Stratégie Nationale Bas Carbone révisée, ou SNBC2, que j’ai illustré par la trajectoire en vert sur le graphique ci dessus. En terme de chiffres, la SNBC2 nous impose de réduire nos émissions de 12MtCO2-eq/an. Vous voyez qu’on est déjà bien loin des 8MtCO2-eq/an qu’on suit actuellement.

Alors, il y a quelque temps, des journaux disaient que la France respectait la SNBC2 sur la période 2019-2021. Certes. Mais ce qu’explique le HCC, c’est que si les objectifs ont été respectés, c’est principalement lié à deux raisons :
    • Le COVID est passé par là, ce qui a mécaniquement plombé nos émissions (c’est le décrochement qu’on voit sur la courbe noire du graphique)
    • Comme expliqué juste au-dessus, les objectifs ont été relevés par rapport à la SNBC1.

Pas de quoi fanfaronner, donc.

Bon, et Fit for 55, alors ?

Eh bien, c'est la ligne bleu ciel (certain diront bleu canard) tracée sur ce graphique. Quantitativement, d’ici 2030, nous devrons désormais réduire nos émissions de 16MtCO2-eq/an si on souhaite respecter les engagements de limite de température.

Comme dirait Raffarin : « La pente est raide ».

Et comme je ne peux décemment pas conclure ce billet sur une phrase de Raffarin, je me contenterai de rappeler comment Renaissance, il y a quelques jours, se félicitait d’une diminution des émissions de 2,5% en 2022.


Ces 2,5% (dont on rappellera qu'ils sont surtout la conséquence d'un hiver très doux et d'une forte hausse du prix de l'énergie.) correspondent à environ 10MtCO2-eq/an. Ce qui nous situe entre les tendances des dernières années et la SNBC2. Bref, on est loin du compte, et je vous invite à jeter un coup d’œil au rapport du HCC pour vous en rendre compte. Lisez-le d'ailleurs avec un regard critique, car on a appris récemment que le gouvernement fait un peu d'ingérence dans le HCC, ces temps-ci...

 

On voit donc que le gouvernement fait tout pour verdir son image. Et si, dans le fond, ces déclarations pourraient prêter à rire, tout ça n'est pas anodin. Dans le deuxième volet du rapport du GIEC, il est mentionné que 3,3 à 3,6 milliards d’êtres humains vivent dans des régions considérées comme hautement vulnérables aux conséquences d’un climat qui change. Plus proche de nous, dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse atteint un niveau jamais vu depuis le début des enregistrements, en 1959. Partout en France, la tension sur l’eau et les ressources naturelles est critique. Or, tout ce que propose le gouvernement, c'est de dissoudre les Soulèvements de la Terre. Le déphasage entre leurs mots et leurs actes est total.

Pour limiter la casse, ce n’est pas d’une diminution de 2,5% dont on a besoin. C’est d’au moins 4,7%. Pas dans dix ans, pas dans 100 jours. Maintenant et chaque année, jusqu’en 2030.


Sources :

 

https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/fit-for-55-the-eu-plan-for-a-green-transition/

https://www.hautconseilclimat.fr/

https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/

 

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