Ce texte a été initialement rédigé dans le cadre de la nuit de l'incertitude, organisée par Radio Campus Paris. La lecture et le montage sont de Lucas Bernardi, et la piste sonore est une création d'Antoine Galvani.
« Je ne sais pas ce qu’on pourra faire la saison prochaine », prévient Macron, au sujet des festivals. Son visage est tendu ; sa veste de costume, tombée ; sa cravate desserrée, de
travers ; son air enfin, un peu désemparé. On le comprend, et on n’aimerait pas être à sa place. Ne pas savoir, c’est comme se sentir dernier de cordée. Devoir l’admettre, c’est pire encore.
L’incertitude plonge tout le monde dans la même galère ; et touche tout le monde. C’est la terreur de l’étudiant devant le contrôle, la hantise du chômeur en fin de droit, l’anxiété du
comédien à l’approche de sa date anniversaire, la peur de l’homme politique face au sondage. Sérieusement, qui s’est déjà donné pour qualité d’être incertain ?
Personne. Et pour cause.
L’incertitude, c’est ce concept qu’on déprécie, cette notion qui doit être dévaluée si l’on souhaite coller aux normes de notre monde. Un monde où tout fuse, un monde 2.0 qui carbure à la
compétition, qui crame les plus lents sur le bord de la route. Un monde de startups qui sait ce qu’il veut, où il va. Notre société n’est pas faite d’hésitants, mais de décideurs. On court dans
un monde qui ne tolère ni le bafouillage ni l’hésitation. T’hésites ? On te plante. On a beau tous la ressentir, cette incertitude, il faut en avoir peur. Alors, on se la cache, on se la
garde pour soi — on se la garde loin de soi —, on la verrouille en acceptant les injonctions de morale. Enfin, quand je dis « en acceptant »… Disons plutôt, en encaissant. En obéissant,
en pliant, en feignant nos convictions. Parce que c’est ainsi qu’il fonctionne, ce monde, par volées de certitude ! Par volées de servitude.
Attends. Je m’emballe, je digresse. Retour aux bases.
En métrologie, c’est-à-dire, dans le domaine de la Science de la Mesure, l’incertitude se définit comme « une dispersion des valeurs attribuées à une grandeur ». Dispersion des valeurs.
Intéressant. Une dispersion, qu’est-ce, sinon un écart à une référence ? Un intervalle. Ça sonne comme un soupir, comme une pause, comme un temps qu’on laisse en suspens, un moment qu’on ouvre.
Pour digérer ce qui vient d’arriver, d’abord, et pour apprécier et ajuster ensuite notre chemin. C’est l’occasion d’inspirer un coup, avant d’enquiller la suite. Histoire de prendre, peut-être,
une voie plus juste. Et nos valeurs, dans tout ça ? Une grosse construction humaine qui puise dans les soi-disant vertus chrétiennes ce qui, depuis des lustres, ne fait qu’écraser,
qu’aplanir notre liberté. Travail. Progrès. Et d’autres.
Alors, j’y repense, et j’aime assez, finalement, cette idée selon laquelle, où que l’on regarde, on n’observe qu’une dispersion des valeurs. De nos valeurs. Un éclatement, un nouveau prisme de
contemplation, un angle pour reconsidérer nos socles, pour recréer. J’aime l’idée qu’autorise cette dispersion : la possibilité de recomposer notre monde, comme le dit si bien Pignocchi. De
revoir notre pensée, de réévaluer nos modes de vie, de réinterpréter tout ce qu’on nous assène comme su et verrouillé. J’aime l’idée selon laquelle nos incertitudes s’étalent, fleurissent au
hasard, poussent et grandissent, entre les dalles rigides du 2.0, entre les failles de la coque qui craquèle, au-delà des limites et de la morale. Surtout, j’ai envie qu’on nous laisse libres.
Libres de les expérimenter, de les cultiver, même — surtout —, lorsqu’elles sont indomptées.
À propos d’incertitude, le 20 mai, sera la journée internationale de la métrologie. Ne serait-ce pas l’occasion de rendre incertaine notre servitude ? Ne serait-ce pas le temps d’une
inserviction ?
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Guilhem (dimanche, 30 août 2020 23:39)
Très beaux et très justes propos dans ton blog, Johnny ! Celui-ci est particulièrement bien mis en valeur avec cette création audio. Chouette collaboration, à refaire avec tes nouvelles. Continue !