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A la surface du blog

Ce blog s’ouvre en un temps bien étrange.
Un temps de pandémie pendant lequel chacun, chez soi, s’occupe comme il peut : on lit, on travaille, on attend. Et le plus souvent, on se pose devant son écran, on surfe, on joue, on crame du Netflix par tous les câbles de la box. Une surconsommation de data telle que même au sommet de l’état, on envisage brider les flux numériques. Comme le dit Alain Damasio : « On va découvrir ce que ça fait quand 90 % du temps éveillé est médié ». Ça paraît dingue comme perspective. Ça colle le vertige. Pourtant, on y est, depuis quinze jours, et ça ne nous fait pas décrocher pour autant.

Alors on attend. On attend que la vague passe en applaudissant chaque soir, on attend que ce mois de mars reflue, qu’il traîne dans son sillage un avril tout aussi clos, et l’on se met à rêver à l’été qui vient, à ces journées où l’on pourra enfin sortir son museau, où l’on pourra rebasculer sur le confort charnel d’un apéro en terrasse, d’une vraie soirée, où l’on pourra enquiller les embrassades avec nos proches et reconsidérer, peut-être même, un check marmite.

Notre président nous l’a dit : il va falloir être soudé. Unis. Le temps que passe la crise. Il va falloir soutenir les soignants. Travailler plus. Nous penser collectifs. République. France. Autant de paroles qui ne font que renforcer la dissonance cognitive dans laquelle on nous a noyés depuis des années, autant de propos qui nous font perdre nos repères et nous plongent dans le doute. En fait, cette période est capitale, effectivement. Mais pas au nom de la Guerre invoqué par l’État. Non. Elle est capitale en ce qu’elle constitue un test, quant au maintien de tout un tas d’acquis sociaux et de libertés individuelles, jusqu’à présent salement ébranlées au nom de cette soi-disant Guerre.

Pourtant…

Pourtant, cette guerre n’est qu’une vague. Un rouleau de bord de mer qui te surprend, certes, te monte jusqu’aux genoux, mais qui s’en va au bout de quelques mois. Partout ailleurs, c’est le niveau des océans qui monte. Combien le Covid a-t-il tué d’humains ? 70 000, selon les chiffres Mediapart du 6 avril. Combien le réchauffement climatique menace-t-il d’humains ? Entre plusieurs centaines de millions et plus d’un milliard, en fonction des études et des périodes considérées. Et ce, sur des décennies. L’ONU prédit 280 millions de déplacés d’ici à 2050. C’est-à-dire, demain. Alors, bien sûr, on pourra arguer que je compare d’un côté des décès formellement comptabilisés et de l’autre, des personnes seulement « touchées » par le réchauffement climatique. Qu’importe : trois ordres de grandeur suffisent à prendre conscience de la situation.

Dans son rapport de 2014, le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) évaluait plusieurs scénarios d’augmentation de la température à la surface de la Terre d’ici 2100. Dans le cas où l’humanité ne mettrait en place aucune politique environnementale contraignante, la température augmenterait de 4 °C par rapport aux années 1900. Mais dans son communiqué de presse de septembre 2019, le programme d’intercomparaison des modèles de climat (CMIP) envisage à présent des augmentations de température atteignant +7 °C. Partout, les glaciers de montagne reculent, le Groenland se déverse dans l’Atlantique Nord, et l’Antarctique, avec son gigantesque potentiel en termes d’augmentation du niveau de la mer (60 m) et ses boucles rétroactives à gogo, subit à son tour les conséquences du réchauffement de l’océan. Des études récentes et activement médiatisées commencent à suggérer que l’équilibre de la Terre en termes d’alternances des périodes glaciaires/interglaciaires pourrait être définitivement modifié (1).

Tout ça va nous rentrer dans le lard. Violemment. Ça va nous sécher, au sens propre comme au figuré. La machine est engagée, ses effets désastreux se font déjà sentir, et ça pourrait empirer au point que les scientifiques ont bien du mal à quantifier les points de rupture qui pourraient advenir une fois passé le cap des +2 °C.

Pourtant, en 1992 déjà, le docteur Henry Kendall, Nobel de physique, publiait une tribune titrée : « World Scientists’ Warning to Humanity », dans laquelle lui et 1700 scientifiques alertaient sur la menace du changement climatique, sur la nécessité de revoir notre modèle de fonctionnement et sur l’importance de notre éducation (2).

 

Alors, oui, ça chauffe. Mais je crois que c'est la clé. L’éducation. Le truc qui fait de toi autre chose qu’un oui passif, le truc qui te fait poser des questions, le truc qui te fait percevoir le sophisme qui arrive, qui t’aide à cadrer la dissonance cognitive et à t’affranchir des discours à la con. Et depuis quelque temps, partout, on voit que ça marche. Que ça pousse. Que le public s’empare de la connaissance, des chiffres, de la rue. Des médias, aussi. Ça gueule. Les gens se renseignent, s’éduquent, s’indignent, dans une dynamique qui s’étend bien au-delà de notre petit confinement.

Voilà, modestement, l’idée de ce site. Apporter, par touches, des brides de questionnement, de réflexion, de pensée, de débat. D’indignation. Quand ça vient. Tenter d’effleurer, du bout de ma plume, nos neurones confinés. Pour que ça bouge, bordel. Pour que ça chauffe, que la température s’élève.

Surtout ici, à la surface du Blog.

 

 

 

1 Trajectories of the Earth System in the Anthropocene. Will Steffen, Johan Rockström, Katherine Richardson, Timothy M. Lenton, Carl Folke, Diana Liverman, Colin P. Summerhayes, Anthony D. Barnosky, Sarah E. Cornell, Michel Crucifix, Jonathan F. Donges, Ingo Fetzer, Steven J. Lade, Marten Scheffer, Ricarda Winkelmann, Hans Joachim Schellnhuber. Proceedings of the National Academy of Sciences Aug 2018, 115 (33) 8252-8259; DOI: 10.1073/pnas.1810141115

 

 

 

2 https://www.ucsusa.org/sites/default/files/attach/2017/11/World%20Scientists%27%20Warning%20to%20Humanity%201992.pdf

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Troncy (mardi, 07 avril 2020 10:12)

    Merci très bonne idée que ce blog pour échanger sur ce sujet qui n'a pas fini d'être notre actualité.

  • #2

    Aurélie.F (mardi, 07 avril 2020 10:13)

    Merci pour ce bel article qui contient à la fois la sensibilité nécessaire pour traiter ce sujet et la rigueur des données fouillées, digérées et intégrées jusqu'à la moëlle.
    Quelque chose me dit que sous la surface, ça bouillonne. Merci aussi pour la lumière faite sur l'éducation et que vive le check marmite !

  • #3

    Scorpii (vendredi, 10 avril 2020 19:49)

    Je trouve ton point de vue intéressant, puisqu'il permet de mettre en lumière le réel défi de notre société.
    En effet, le virus nous touche tous, tu le sais particulièrement étant originaire d'Alsace, région particulièrement touchée.
    Je pense qu'il faut tous se montrer solidaires et pourquoi pas ressortir de ce confinement avec de nouvelles clefs.
    Sinon tu regardes quelles séries Antarès ? ;)